J'arrive dans un endroit qui ressemble bien à l'espace où mes proches m'ont accueilli tout à l'heure. Et justement, l'un d'eux est là : mon grand-père maternel. Il est entouré de trois autres êtres. Je ne les connais pas. Probablement, je les ai identifiés sur-le-champ, mais je n'ai rien conservé dans ma mémoire les concernant. L’atmosphère est calme. Il fait un peu sombre. J’ai l’impression qu’une lumière vacillante, comme celle d’un feu de bougie, éclaire légèrement les visages de ces êtres, ou du moins ce qui s’apparente à des visages. Les êtres ont l'air assis. Devant eux, j'aperçois un grand livre ouvert, posé sur ce qui ressemble à une table basse. Le livre est gigantesque.
L'un d'eux tourne les pages de ce livre. Ces pages contiennent l’histoire de mes vies, me disent-ils. Plus ils tournent de pages, plus je vois mes vies défiler devant mes yeux. C'est intriguant. Ils semblent tout connaître de moi. Seraient-ils des guides ? J'ai l'impression qu'ils savent tout de mon parcours dans l'univers. J’apprends que ma vie actuelle ne se limite pas à celle que je vis sur Terre. Celle-ci n'est qu'un épisode dans une succession infinie de vies. Je découvre également que je n'étais pas seulement un homme. J'ai été aussi une femme. Tels sont les rares souvenirs que je conserve de ce face-à-face. Il me semble aussi que, dans l'une de mes vies antérieures, j'étais un animal. Je ne m'y attarde pas. Pour être honnête, ces souvenirs sont confus.
Après le grand livre, on me fait visiter un endroit où sont rangées mes vies côte à côte : mes vies antérieures et mes vies à venir. Curieux ! Je me trouve devant un meuble de rangement avec des cintres et des boîtes. Chaque cintre, chaque boîte contient une mémoire de mon parcours. Cet endroit est plus sombre que le premier. Il est si mal éclairé que j’ai du mal à distinguer les cintres suspendus et les boîtes empilées.
Arrive alors le moment fatidique : le jugement, ou plutôt l'auto-jugement. Je vois défiler mes erreurs, commises sur Terre. Je m'arrête sur un passage où, sur Terre, j'avais abandonné une fille très proche de moi, sans la prévenir. Elle avait beaucoup souffert à cause de moi. J'étais responsable de cette souffrance qui avait duré des années, m'a-t-on rapporté.
Là, je ne suis plus moi-même. Je suis cette fille. Je porte exactement l'une des robes qu'elle portait quand je l'avais connue. C'est épouvantable ce que je ressens : une angoisse intense et une déprime terrifiante. Je n'aurais pas de mots justes pour décrire ce qu'on appelle la souffrance ou la nuit de l'âme. Je sens une tristesse qui me déchiquette le cœur, une douleur qui traverse tout mon être. Je sens des lames qui découpent mes tripes. J'éprouve une grande amertume et beaucoup, beaucoup, beaucoup de regrets. Je ressens énormément de culpabilité.
Je suis entièrement nu et désarmé face à cette douleur de l'âme. Je n'ai pas mon mental pour m'aider, pour me permettre de penser à autre chose, ou pour trouver des arguments ou des excuses. Je n'ai aucun moyen d'y échapper. C'est évident, puisque c'est moi-même qui me « punis ». On peut fuir un tortionnaire, mais pas lorsqu’on est soi-même son tortionnaire.
Chose étrange : je vis une dualité. Je ressens ces émotions « d'enfer », tout en étant moi-même deux : elle et moi, la victime et le coupable. Je ressens exactement ce qu'elle a dû endurer après que je l'ai quittée sans la prévenir. Je ressens sa tristesse, son angoisse, et « en même temps » mon amertume et ma culpabilité. Somme toute, suis-je un seul être ? Ou deux ? Non. Assurément, je ne suis ni un, ni deux. En effet, ces notions de quantité sont des notions typiquement terriennes. Ici, devant ce volumineux livre karmique, je ne suis pas sur Terre et je ne suis pas un humain. Je suis une pure conscience, une pure information. À ce titre, je suis les deux à la fois. Puis, selon l'émotion du moment, je suis tantôt elle, tantôt moi. C'est cela, la magie de l'univers.
Après cette scène de torture de l'âme, il y a eu d'autres scènes d'incarnation de différents personnages, dont l'un de mes frères. Mais mes souvenirs sont flous, trop épars pour en donner une restitution complète et cohérente.
Je reviens à mes êtres. Je disais que, contre toute attente, ils ne me culpabilisent pas. Ils ne me jugent pas non plus. Au contraire, ils m’envoient une grande empathie et beaucoup de tolérance. Je ne ressens aucun reproche de leur part, mais plutôt un profond sens de responsabilité. Je développe une nouvelle vision de la responsabilité. J'y reviendrai un peu plus loin.
Je quitte ce tribunal de l'âme et me retrouve avec un être qui surgit de nulle part et m'ordonne de le suivre.